L’agriculture, « arme de destruction massive des sols » – Comment fonctionne un sol, d’après Claude Bourguignon

Je résume ici une conférence indispensable de Claude Bourguignon, ingénieur et docteur en sciences microbiologiques, à la deuxième session internationale de la biodiversité, puis propose d’élargir le problème que pose l’agriculture et les solutions qui en découlent.

 

L’agronomie, « un monde de fou »

Claude Bourguignon est entré dans le monde de l’agronomie et, dit-il, a découvert « un monde de fou » où l’on donne à manger de la viande aux vaches pour améliorer la production de lait, où l’on apprend comment entasser des bêtes dans des conditions infernales, ou bien où l’on surcharge les sols d’azote. Il est donc rentré en microbiologie pour apprendre les sols à la base et retrouver le bon sens de la vie du sol. Il a rejoint le seul laboratoire français de microbiologie des sols et y a étudié la qualité des sols, alors même que l’INRA ne voulait pas entendre parler d’agriculture biologique. Et ne voulait plus entendre parler de lui-même ensuite car il « salissait leur image ».  Il a donc quitté l’institut et a créé son propre laboratoire d’analyse microbiologique des sols en 1989 avec sa femme Lydia Bourguignon qui elle étudiait la qualité des aliments. Ils ont étudié plus de 12 000 sols à travers le monde, et nous expliquent comment ces derniers fonctionnent.

 

La forêt comme exemple, l’arbre comme maître des sols

Avant que nous la cultivions, la France était recouverte à 90% de forêts. Les sols ont été productifs pendant des millions d’années avant d’y faire de l’agriculture, ils ont été détruits rapidement depuis. A titre d’exemple, la forêt de Bornéo a 150 millions d’années, reçoit en moyenne entre 3 et 9 mètres d’eau par an, et continue à faire pousser les plus grands arbres du monde. Si la nature laissait passer ne serait-ce qu’une petite quantité d’azote, en 150 millions d’années cette forêt serait devenue un désert, or c’est la forêt la plus riche du monde… Alors comment ça fonctionne ?

L’arbre est le maître des sols. Tous les ans, il fait tomber des branches et des feuilles mortes sur le sol. Ces dernières sont mangées par la faune épigée (qui vit sous la strate herbacée, en surface du sol ou d’un substrat naturel). Cette faune épigée rejette des excréments qui sont de la matière organique broyée en éléments très fins et qui vont permettre aux champignons (seuls organismes vivants capables d’attaquer la lignine) de s’en nourrir et de les transformer en humus. La fabrication d’humus se fait donc à la surface du sol. Par conséquent, le labour est une incohérence scandaleuse puisqu’il consiste à mettre de la matière organique sous le sol, ce qui est absurde puisque la faune épigée ne vit pas sous le sol mais à la surface.

Les arbres produisent un double enracinement. Le premier, horizontal, est sous la matière organique. Au printemps, l’humus formé par les champignons est minéralisé par les bactéries quand le sol se réchauffe. Ce processus de minéralisation libère du nitrate et du phosphate qui va descendre dans le sol avec l’eau de pluie. Les racines horizontales de l’arbre vont alors les récupérer et les utiliser pour leur frondaison (feuilles de l’arbre qui poussent).

On comprend alors que le système sol-plante est fermé dans la nature : il n’y a pas de fuites ! L’arbre met ses racines sous la matière organique, et c’est pour cela que les nappes phréatiques sont propres sous les arbres. La « grande bêtise de l’agriculture » est qu’elle laboure et met la matière organique sous les racines : le temps que les racines se forment, le processus de minéralisation est déjà effectué et le phosphate et le nitrate notamment s’échappent dans les nappes phréatiques, ce qui les pollue. La nature nous enseigne qu’il ne faut jamais enfouir de matière organique dans un sol.

Le deuxième système d’enracinement est la racine pivot qui va descendre jusqu’à la roche mère. Si cette dernière est fissurée, la racine pivot continue à descendre, parfois jusqu’à 150 mètres de profondeur. L’arbre est le seul organisme vivant du monde capable de récupérer l’excédant d’eau de pluie, la dépolluer et la redistribuer aux nappes phréatiques. En effet, l’excédant d’eau de pluie ruisselle le long des racines de l’arbre, est épurée par l’absorption des éléments nutritifs qu’elle contient par les racines, puis est conduite, propre, jusque dans les nappes phréatiques. L’arbre est indispensable dans le fonctionnement de la planète puisqu’il est le seul capable de remplir les nappes phréatiques.

 

La fabrication d’un complexe argilo-humique

Lorsqu’elle atteint une certaine profondeur, la racine de l’arbre est en contact avec le monde minéral. Elle sécrète des acides, ce qui va attaquer la roche et la transformer en argile. C’est donc également par ses racines que l’arbre fabrique de l’argile. L’humus est fabriqué en surface grâce au travail des champignons et de la faune épigée, et les argiles en profondeur grâce aux racines des arbres au contact du monde minéral. Cela est la raison pour laquelle le sol est un complexe argilo-humique.

A cette profondeur, une certaine quantité de racines meurt et est mangée par la faune endogée (qui vit sous la terre, ce sont les mêmes groupes qu’en surface mais en plus petit : collemboles, acariens, vers), ce qui va libérer de nouvelles galeries pour les racines suivantes. A titre d’exemple, un blé fait 200 km de racine et 5000 km de poils absorbants. En en mettant 200 au mètre carré ça fait 4 milliards de km de racines, qui seront mangées par la faune endogée pendant l’hiver et permettront à l’orge ou au colza qui suivront de s’enraciner.

Pour récapituler, l’argile est produite en profondeur, l’humus en surface, la faune épigée aère le sol en surface, et la faune endogée aère le sol en profondeur. L’humus et l’argile se rencontrent pour former le sol (et former ce complexe argilo-humique) grâce à la faune anécique qui brasse continuellement le sol de profondeur riche en argile, avec le sol de surface riche en humus : les vers de terre sous nos climats et les thermites dans les climats tropicaux. Ces derniers habitent des galeries et sortent la nuit, remontant de l’argile qu’ils mélangent dans leurs intestins avec de l’humus. L’intestin des vers de terre possède une glande très riche en calcium (glande de Morren). Les argiles sont négatives, les humus sont négatifs, et le calcium est un ion qui a deux charges positives, chacune s’accrochant à l’argile et à l’humus. Cela fabrique du complexe argilo-humique qui permet de nourrir les plantes. Ce sont les vers de terre qui fabriquent la terre.

Et donc pour l’anecdote, ce ne sont pas les cailloux des champs agricoles qui remontent, mais bien la terre qui s’en va suite à la destruction de la vie dans le sol.

 

L’agriculture a inventé deux armes de destruction massive des sols

En violant ces lois fondamentales, nous avons tué nos sols. Et cela en inventant deux « armes de destruction massive ».

La charrue ou le tracteur bousillent les sols en les retournant massivement et donc en mettant la matière organique au fond. Or, tous les champignons du monde son aérobiques (ils ont besoin de dioxygène pour se développer). Donc quand on enfouit de la paille dans le sol, on ne fabrique plus d’humus. Il ne faut pas non plus mettre de compost avant d’enterrer un arbre.

Deuxième erreur fondamentale, les engrais chimiques. Ces derniers stimulent les bactéries, qui sont minéralisatrices et qui se multiplient vingt fois plus vite que les champignons. Donc on accélère la minéralisation de la matière organique, et quand cette dernière devient en trop petite quantité, la faune qui s’en nourrit disparait. La France est passée de 2 tonnes de vers de terre à l’hectare en 1950 à moins de 100 kilos aujourd’hui. Ces vers de terre remontent de la potasse, du phosphore, de la magnésie, du calcium. Tous ces éléments qui ne sont plus remontés descendent donc dans le sol et polluent les nappes, les rivières.

Cette dégradation biologique des sols entraîne une dégradation chimique : la terre perd ses éléments nutritifs. Le sol est appauvrit. Nos eaux sont polluées. Lorsque le taux de matière organique est trop faible et que les ions fondamentaux qui attachent argiles et humus sont minéralisés (le fer, le calcium, etc), l’argile s’en va et les rivières se chargent de boues dès qu’il pleut. Le sol part à la mer : c’est la mort physique du sol.

 

Lutter contre la propagande des multinationales de l’agro-industrie

Il faut donc lutter contre la « propagande » des multinationales qui ne se fonde pas sur la science mais sur le profit. L’agriculture n’a plus de science mais seulement de la technique, des produits chimiques, des grosses machines. Elle est aujourd’hui là pour enrichir l’agro-industrie et non pas pour nourrir les humains. A l’heure où un milliard d’humains souffrent de la famine, la révolution verte (politique de transformation des agricultures des pays en développement ou des pays les moins avancés, fondée principalement sur l’intensification et l’utilisation de variétés de céréales à hauts potentiels de rendements) est un échec total, et cette société obsédée par le profit ne veut pas reconnaître ses torts.

Il faudrait donc dissoudre des sociétés comme Monsanto qui sont des « assassins » et créer une justice internationale contre ses crimes contre la vie. C’est bien de cela qu’il s’agit puisque nous avons perdu depuis 1900 environ 90% de l’activité biologique des sols, et en particulier les champignons qui ont complètement disparus avec les engrais chimiques alors que ce sont eux qui font les humus.

L’agriculture n’a pas besoin d’azote mais de carbone. Les agronomes ignorent tout de la vie des sols, la chaire de la microbiologie des sols à été fermé en 1986, on ne fabrique plus de microbiologistes des sols. Si on veut remettre de la vie dans les sols, il faut remettre de la science et arrêter d’inventer des modèles artificiels type révolution verte, de donner le prix Nobel à quelqu’un qui a ruiné 300 millions d’hectares de sol avec sa révolution verte (Norman Borlaug ndlr). Le grand livre, c’est la nature…

Il donne ensuite quelques conseils, notamment pour le jardin, dans la partie question réponse avec le public :

  • L’entourer de haies (pas de cyprès, pas de résineux, qui sont toxiques et tuent les vers de terre) de feuillus avec différentes espèces pour avoir des fleurs toute l’année (cornouiller, prunus, églantiers) pour nourrir les abeilles (et nous!) et avoir du bois BRF à poser sur le sol.
  • Laisser le gazon obligatoirement monter en fleur au moins une fois par an pour qu’apparaisse une espèce d’insectes (les acridiens : criquets, grillons, sauterelles) fondamentale pour l’aération du sol, qui pourra ensuite être fauché pour fertiliser le sol gratuitement.

 

Remarque personnelle : en finir avec l’agriculture et mettre en place des modèles en permaculture

Cette conférence de Claude Bourguignon est fondamentale pour comprendre le bon fonctionnement d’un sol. En ignorant les lois fondamentales du vivant et en faisant des champs agricoles qui détruisent la vie des sols, nous nous exposons à beaucoup de drames : famine, effondrement de la biodiversité, érosion des sols, inondations, pollution des eaux.

Ce que nous proposons à travers ce site, c’est d’avoir une vision holistique de la situation socio-écologique de notre société industrielle et d’en faire une critique radicale. Ainsi, nous pensons qu’il est important de bien intégrer ces données précieuses fournies par Claude Bourguignon et de les appliquer au sein de modèles permacoles plutôt qu’agricoles.

Notre société qui se base sur l’agriculture depuis 10 000 ans, n’est pas efficace (besoin de beaucoup plus d’énergie en amont que ce qu’on sort du système en aval, soit l’inverse de la soutenabilité) et donc demande beaucoup de travail humain, énergétique, mécanique, et par conséquent des esclaves pour réaliser ce travail, au profit de ceux qui « possèdent » les terres et le pouvoir. L’inefficacité de ce modèle fait qu’il n’est pas éthique : 1 milliard de personnes meurent de faim, nous sommes tous les travailleurs-esclaves d’un système géré par les grandes multinationales qui possèdent les terres et qui nous empoisonnent avec leurs produits, la biodiversité s’effondre tandis que le climat s’emballe mettant en péril la capacité même de la Terre à porter la vie.

Nous proposons la permaculture afin de s’émanciper de cela en retrouvant notre autonomie et notre liberté grâce notamment à la puissance du vivant. La permaculture se base d’ailleurs beaucoup sur les arbres, qui sont comme nous venons de le voir, les « maîtres » de la vie sur la planète puisqu’ils sont la base de la vie du sol, et sont les organismes qui régulent le cycle de l’eau. La permaculture n’est pas seulement une substitution à l’agriculture en tant que production de végétaux et de bétail mais est une substitution du modèle de société actuel basé sur l’agriculture et dont la continuité est notre société industrielle catastrophique.

La permaculture vise l’abondance, la gratuité et le quasi-non-travail plutôt que la raréfaction des ressources, le travail forcé, et la religion de l’argent qui sont le fruit du modèle agricole.

 

En savoir plus sur la permaculture :

Ressources fondamentales

De la destruction de la planète par la civilisation industrielle à sa régénération par la permaculture

Un commentaire

  1. Oui, ça se tient comme raisonnement . Le travail du sol créé un chamboulement dans l’écosystème et empêche la vie des organismes vivants, et ce sont ces microorganismes qui ont assuré la préservation des sols et du sous sol.
    Il est temps pour l’être humain de revoir sa copie .

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